Amir au pays des merveilles
Le bus s’arrête en attendant que les pelleteuses s’occupent de la neige. Il y a cinq heures à Bandar Abbas, il faisait vingt-six degrés. En Iran il n’y a que trois cent kilomètres entre deux saisons. Pas question de rester à l’abri, tout Kerman prend la route de la montagne pour aller célébrer par un embouteillage cette bénédiction blanche qui promet de mouiller la sécheresse des plaines. Le seul autre zigoto en sac à dos qui remonte la rivière de voitures, c’est Amir, ami campeur d’Ormuz qui m’a rejoint: on va vers le désert le plus chaud du monde de l’autre côté du mur de glace.
Alors qu’on croise les dernières voitures qui redescendent vers Kerman en bloquant les deux files, un pick-up apparait dans notre dos. C’est notre seule chance de passer de l’autre côté de la montagne avant la nuit et il nous pick-up , on s’enroule sous la bache à l’arrière et franchit le tunnel comme deux miraculés. Malgré les mises en garde de nos sauveurs sur une tempète de sable qui ferait rage à Shahdad on continue le stop jusqu’à la porte de chez Parvin, la mère du type au pick-up. C’est une belle vieille au regard imposant, une prestence de grande actrice discretement contente d’avoir un peu de compagnie dans sa grande maison.
La nuit a balayé Shahdad qui brille d’une clarté oasienne. Il passe trois véhicules par heure et c’est finalement un camioneur qui nous dépose dans le désert des Kalouts.
Le vent a sculpté des monuments minéraux, soufflé les mots qui se font rares, laissant la place à la contemplation. À croire que Shajarian a composé ses morceaux pour l’homme qui s’aventurerait pieds nus au milieu de cette mégalopole de sable. On marche des kilomètres vers chaque massif et une fois arrivés un autre nous appelle à son tour dans le lointain, il y a de ces paysages qui vous aspirent.
Amir dit que c’est Dieu qui m’a mis sur sa route, c’est un sacré compagnon et la vie nous fait un grand sourire sur notre monticule face aux dernières lueurs du jour.
La tente a gelé mais on a tenu bon et même bien dormi, le voisinage ayant été assez calme. Amir se rappelle que son semestre a commencé et il faut lever le camp et le pouce.
Une dernière voiture nous dépose à Rafsanjan, il fait nuit noire mais bientôt voilà la 405 de papa qui s’arrête. Maman finit de préparer le ghorme sabzi pendant que je me douche. En tant qu’ami du fils je deviens fils tout court et profite sans plus savoir où me mettre d’une nouvelle démonstration d’hospitalité. Tout est parfait, on pourrait juste se passer de la télé qui diffuse une émission américaine de merde où des crétins aux hormones et des bimbos siliconées récitent des mensonges pour promouvoir un blockbuster abrutissant. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit cette culture là qui innonde le monde? Je réoriente mon attention vers la nappe et la mère me demande si je reprends quelque chose. Quand je retourne glander dans la chambre d’Amir elle apporte des trucs à grignoter en s’excusant presque pour le dérangement.
Jaber c’est l’ami d’Amir, “on a appris le stop ensemble sur internet et on est parti dix jours sur la route”. Il discute profondément et propose de nous emmèner dans un canyon que personne ne connaît plus, à trente kilomètres au sud. Cette fois ci il y a de l’eau mais température titanic et nos pieds nous interdisent l’accès au coin qu’il voulait nous montrer, on se rabat sur quelques compositions accompagnées par le ruisseau.
Je finis par repartir de Rafsanjan en échangeant un bouquet de roses contre d’un kilo de pistaches et des adieux émus. Amir redémarre une dernière fois la 125 sur laquelle on monte à trois avec son frère. “good bye my friend, i will miss you”.