Chinexiang
Les flics sont sympas à la frontière, ils nous disent qu’on est cools parcequ’on voyage et ils checkent nos photos par curiosité plus que par sécurité. La petite frontière avec la cheville de la Mongolie est imposante, les chinois font pas les choses à moitié. Retour du vrai stop, beaucoup de bagnoles, peu qui s’arrêtent. On essaye sans payer, ça marche pas à tous les coups.
À travers les vitres je vois défiler la nuit chinoise. Pas étonnant que ce soit eux qui aient inventé les feux d’artifice. Le long de la route il y a un paquet d’immeubles truffés de néons de toutes les couleurs, c’est un vaste Las Vegas mégalo. Je suis sur que de jour c’est juste un con d’hotel avec un parking devant, planté au milieu de rien, parcequ’il y a rien dans ce coin, c’est vide et sec. On se retrouve pris dans une file de semi remorques semi mobiles et c’est le moment que le type qui conduit choisi pour aller dîner.
Le petit somme se fait pas prier avec l’heure qui tourne et nos estomacs qui ont de quoi s’occuper. On part en sens inverse mais le gars maintient qu’on ira à Ürümqi à la fin. Il a l’air de faire un détour pour éviter les bouchons. Il nous réveille à 2h du mat’, à 250 kilomètres de la cible en nous disant qu’on aura qu’à prendre un bus demain. Batard. On plante la tente à 150 mètres de là où le gars nous a bènés, au milieu d’un terrain vague de centre ville entre deux larges routes bordées de grands lampadaires cheap à alternance de couleurs. Premier jour en chine.
Je me réveille de meilleure humeur qu’au coucher, facile, amusé par l’emplacement de camping qui fait encore moins sens de jour. On est entre deux espèces de fausses yourtes en béton dans le jardin d’un bâtiment qui ressemble vaguement à une administration. Mais personne ne nous a dérangé et la nuit était gratuite.
On se remet à faire du stop, mais apparemment pas dans la bonne direction a en croire les grimaces de la petite vieille balayeuse qui nous arrose de mises en gardes négatives et pointe une autre route. Après deux tentatives de passer outre on se résoud à l’écouter. Et elle avait raison parcequ’on attend pas tant que ça pour trouver une caisse vers Urumqi. Seulement j’étais frustré de pas la comprendre et j’ai pris ses conseils pour des réprimandes, j’avais l’impression qu’elle me faisait la leçon. Ce matin Tomoya doit se coltiner un compagnon qui s’amuse plus des petites galères comme avant. J’ai l’impression d’aller vers ma prochaine destination sans enthousiasme, de réussir un stop comme de prendre un bus, presque froissé de l’avoir attendu. Bref, je sens que je deviens casse couilles et faut que je me resaisisse.
On n’est pas si loin de la Mongolie et pourtant on file déjà sur une autoroute à quatre voies avec un terre plein central, des glissières métaliques et des péages. Le paysage est rempli d’usines et de centrales nucléaires qui fument. Ça construit à tout bout de steppe et les abords de la ville sont embalés dans un smog infernal, bref, c’est plus “développé” comme on dit.
Si on peut, il faut voir une ville chinoise une fois dans sa vie. On passe devant une forêt de tours résidentielles d’une densité qui dépasse les rêves les plus fous du Corbusier. Le centre est une fourmilière, à chaque carrefour c’est time square, pas un mètre de rez de chaussée sans un commerce et si je m’écoutais je mangerais tous les 5 mètres.
Ici vous commandez un plat on vous sert une montagne et c’est’délicieux, surtout venant de Mongolie. On ne quitte pas la table avant d’avoir le sentiment d’être le vainqueur du concours du plus gros mangeur. D’ailleurs on ne mange pas, on tète bruyamment le contenu de son assiette et je décide de couper ma barbe au plus vite. Tout le monde est à la même enseigne et il n’est pas question de se tenir, c’est un vrai bonheur de transgression et d’ingestion. Soit dit en passant aux alarmistes qui parlent du jour où tous les chinois mangeront de la viande comme si jusque là le pays ne comptait que des végétaliens locavores, c’est déjà fait.
De temps en temps j’aime bien cette sensation métropolitaine d’être microscopique au milieu d’une fourmilière. Où que j’arrête mon regard il se passe quelque chose, des gens s’affairent à je ne sais quoi, ça grouille. La police et l’armée sont partout, l’arrivée massive des Hans n’a pas laissé tous les Ouighoures indifférents et le moindre batiment public est gardé comme un aéroport: je me fais ploter plusieurs fois par jour, comme quoi la police sait aussi se montrer chaleureuse.
Les chinois ont inventé une drôle de définition du communisme, les avenues sont maculées d’écrans qui crachent des publicités et le matérialisme est la religion dominante.
La Chine que je découvre c’est ce subtil mélange de brutalité industrielle, de gigantisme et d’une fantasie enfantine presque niaise qu’on capte très bien sur la coline du centre où les chansonettes nasillardes des haut parleurs font concurrence aux marteaux piqueurs, témoignant d’un souci manifeste de réenchanter le monde.
Les grandes villes rétrécissent au fur et à mesure qu’on les arpente et le matin du départ je commence à me faire à l’endroit, je me dis que vivre ici ça doit être faisable si on oublie ses poumons. À la gare, la nana de la billeterie me dit que j’ai un joli nez en me tendant mon ticket, la Chine s’annonce imprévisible.