Mörön, les ombres longues
Mörön est une bourgade de 50 000 âmes, mais le désert n’est jamais très loin, il suffit de marcher deux heures vers une montagne pour être de nouveau seul au monde, à l’exception de quelques yourtes. Les villes mongoles sont comme des bâteaux au milieu d’un océan de steppe. Lumière puissante, ombres longues, la nuit tombe et en surgissent les néons des commerces. C’est dans celui qui dit pub, kitch, sympa et vide, qu’on va prendre une bière avec le voisin, Choka.
Il y a quelques années Choka a lancé Dream Radio, c’est 101.5 si jamais vous passez à Mörön. Au début c’était un moyen détourné d’adresser des chansons à son ex. Les bières transvasées, il nous propose d’aller downtown pour passer au studio, au dernier étage d’un des quelques grattes ciels de cinq étages que compte le centre. Ce soir là, Mörön écoute Charles Trenet, il a un paquet de sons.
Les dernières heures du jour son un spectacle à Mörön. Puisque j’ai élu domicile dans la banlieue est, on ne se refait pas, la poussière des pistes se transforme en nuage d’or sur fond de soleil couchant qui irradie aussi les montagnes voisines et le monde du jeune berger de 20h.
Après une semaine à Mörön, j’ai quand même eu le sentiment d’avoir fait le tour de la question, et j’ai songé à mettre les voiles. Mais ça voulait dire laisser en chantier ma structrure sextagonale et ses colones de pot de fleurs en bouteilles recyclées qui constituait la raison d’être de mon volontariat et comme j’aime bien finir ce que j’ai commencé j’ai décidé de donner à Mörön une semaine de plus.
Bien m’en a pris, j’ai fini par développer une relative complicité avec la famille de la guesthouse malgré l’impossibilité de communiquer avec des mots. Et puis Saraa, la gérante anglophone, a fini par revenir et on a pu cuisiner et discuter un peu ensemble. C’est une femme engagée sur tous les fronts qui va se présenter en indépendante aux élections locales.
Un soir on est allé avec Choka et deux autres copains faire un karaoké, depuis le temps que j’en rêvais. A une table, deux nomades descendus en ville interprêtaient les hits de l’opéra variété mongol avec des envolées lyriques dignes de ce qu’ils avaient déjà bu. Dans notre alcôve, il y avait déjà quasiement autant de vodka sur la table que dans le dernier cul sec qu’on s’était jeté et mes amis se sont prêtés à l’exercice en habitués. Pukho voudrait que la prochaine fois que je repasse par Mörön je lui ramène un zippo, il rêve d’allumer ses clopes comme un cow boy.
Le dernier jour, mes deux amis du karaoké m’ont emmené à la rivière, c’est l’endroit où on passe ses dimanches après midis l’été. Une ronde de gens chantent derrière nous, décidément, c’est quelque chose ici. Ils m’ont parlé de femmes et on a été s’envoyer des boodz, les raviolis locaux à la viande et son gras, et on a passé un bien bel après midi.
Avant de partir de la guesthouse se matin là, Sandoya m’a préparé le petit déjeuner. On n’a pas parlé plus que d’habitude parcequ’on pouvait toujours pas mais on se comprenait en silence comme deux vieux. Elle savait que je préférais les oeufs bien grillés et moi je savais quee je devais aller faire un tour à la fontaine pour remplir le bac à eau. Au moment de se dire au revoir on ne savait pas trop comment faire mais quand j’ai proposé l’accolade ça lui allait aussi pour conclure qu’on avait passé de bons moments ensemble. Elle m’a regardé du pas de la porte jusqu’à ce que je monte dans le taxi en lui adressant un dernier coucou.