Baïkal mystery tour
Le combi qui part d’Irkoutsk est maquillé comme une diligence: faux cuir clouté maronasse, rideaux sombres et satinés recouverts par une nouvelle bande de tissu avec de petits ponpons vaguement dorés. Un oeil de boeuf donne sur la cabine où un gros type moustachu et plutôt souriant martyrise le pauvre moteur sur les pistes qui mènent à l’île d’Olxhon. La route est droite quelque soit le relief et la seconde parfois vraiment poussive: on se fait dépasser par les 4×4 que satanas avait doublé sur le plat. Voila que la Sibérie me rappelle farouchement la cordillère des Andes, cumbia en moins. Mais au dehors c’est une autre histoire: la terre est rasée de pres, première recontre avec la steppe.
Le soir, rencontre de rue avec Raúl, médecin espagnol. Jamais personne ne m’a parlé de la météo comme ça. Il est passionné de pluie et garde comme un tresor des archives vhs de bulletins météo et de journaux télévisées sur les intempéries, découpe et classe les previsions exceptionnelles collectées dans plusieurs journaux. Depuis qu’il est gosse, il est attiré par la pluie, il s’échappait de classe pour contempler les flaques pendant des heures. C’est une passion pure, autoinspirée, quelque chose d’inné et puissant, c’est épatant et drôle à la fois. Conversation captée sur la plage pour les hispanphones:
Le lendemain je me mets en route pour l’autre côté de l’île, à une journée de marche. Les sapins sur les montagnes de steppe ressemblent aux derniers cheveux d’un futur chauve. J’ai de quoi tenir trois jours dans le dos pourvu qu’il reste de l’eau dans le lac et je commence mon heureux hermitage.
Nuit tombée, camp installé, nouvelle rencontre avec Alexei et son pere Viktor. Lui est businessman mais a fait 5 ans de théâtre a moscou. Il parle un peu anglais et ça me permet une joyeuse immersion. Viktor était sportif de haut niveau dans l’équipe russe de hockey. Ils sont d’Irkoutsk et viennent passer trois jours sur le baikal, i dream of this place me dit Alexei revenant de la pêche avant de m’inviter à partager ses proies du jour autour du feu sous les étoiles et les spoutniks qu’il me pointe du doigt tandis que papa chante des vieilles chansons russes. Suivent nos deux seuls dénominateurs musicaux communs, l’internationale et la marseillaise dont Viktor connait l’air. Ils me questionnent beaucoup sur ce que la France pense de la Russie, je réponds que c’est certainement assez différent des sentiments qui me traversent là tout de suite. On parle aussi de la Crimée et on revient à la France avec le thème qui traverse le mieux les frontières: les migrants et le terrorisme parceque l’amalgame s’est propagé jusqu’aux rives du Baïkal. Après quelques mots de tolérance il se fait tard. On se donne une chaleureuse accolade, il faut dire qu’on a passé une bonne soirée.
Je me remets en route après une bonne nuit et un dernier café avec Viktor pour une nouvelle traversée vers le Sud ou je dois prendre un bateau le lendemain. Perché sur ma coline, je contemple pendant mon goûter d’eau et de gateaux secs le spectacle de la pluie et du beau temps sur la côte occidentale de l’ile d’Olxhon. Les nuages sont le négatif de la steppe qui réagit aux rayons de lumière plus que tout autre paysage.
Le temps se décide finalement à corroborer le pessimisme des prévisions météo et de gros nuages gris se dirigent là où moi aussi. Jamais découragé, je me mets en quête de bois et traine mon trophée à travers steppe quand tombent les premières goutes. Ni une ni deux je rejoins la baie que je m’étais choisi pour le soir et j’installe le camp profitant d’une accalmie. Les goutes reviennent et le premier feu est un échec non cuisant pour le repas du soir. Stratégie revue, je me lance dans la construction d’un foyer couvert avec des pierres. Je jette tous mes fustificatifs de visa mongol dans la bataille et prie au moment d’allumer le briquet (je prie pour le feu, j’ai eu le visa). Et là miracle, sous la pluie fine qui a repris mes pins s’embrasent puissamment et l’eau devla soupe instantanée dont j’ai fini par rêver boue en 5 minutes. Sans gaz ni électricité c’est une fierté immense, il faut des plaisirs simples. Je recommence pour me préparer du thé avant de me refugier sous ma tente pour y écouter la pluie s’abattre sur moi sans conséquence, comme sous le velux de ma chambre d’enfant, au bonheur de l’abri. Le matin je vais me payer une revigorante douche baïkale. C’est la plus belle salle de bain que j’ai connu, ça retape.
D’un coup de stop je rejoins l’embarcadère du bateau qui m’emènera à Oust Bargouzine, sur l’autre rive du lac. Débarquement dans la nuit du patelin sans plus de lumière que d’idée d’endroit où dormir. Mais ayant constitué une équipe de six galériens nous ramons ensemble et trouvons un refuge pour la nuit. C’est une autre histoire le lendemain pour décider de partir pour une excursion qui n’est pas du gout de tout le monde mais qui n’est réalisable qu’ensemble. Après une quasi scission, le collectif l’emporte et le ciel dévoile la vallée de Bargouzine, comme pour nous dire qu’on a bien fait.