Vladimir, ouvrier nostalgique
Mila se souvient bien de ce jour là, c’était au mois d’Aout, à Stalingrad il faisait un soleil de plomb. Mais personne dans les rues, tout le monde essaye de savoir ce qui se passe. A la télévision, sur toutes les chaines, on passe le lac des cygnes. Tchaïkovsky ne se doutait pas qu’il composerait la bande son de la fin du socialisme. Car pendant ces trois jours de blackout, c’est tout un régime qui s’effondre.
Vladimir, le père de Mila, est serein, tout finira par rentrer dans l’ordre, le seul ordre qu’il ait jamais connu. Il travaillait depuis plus de 20 ans comme technicien dans une usine de matériel médical avec ses camarades de toujours. Mila revoit son bricolleur de père s’épanouissant à réparer tout un tas de trucs et propageant dans la famille son optimisme inébranlable.
Mais plus d’un an après le putch, il comprend qu’une époque est révolue et pour la première fois il livre à sa fille ses inquiétudes concernant l’avenir. A l’usine, la production est en chute libre à cause des importations. On a fait croire aux ouvriers qu’ils étaient propriétaires de l’usine en leur vendant d’insignifiantes actions mais les nouveaux propriétaires basardent machine après machine. Les augmentations de salaire ont été dépassées par une inflation démentielle et des milliers de foyers ont perdu leurs économies. La brutale transition des années 90 est en marche et laisse son pesant de travailleurs sur le carreau.
A la différence de ses anciens collègues, Vladimir retrouve du travail mais son optimisme n’a pas survécu à la démocratie et à l’économie de marché. Mila explique: “je ne sais pas comment était vue l’URSS de l’extérieur à ce moment là, mais quand le régime s’est effondré pour beaucoup de personnes ça n’a rien eu d’une libération, c’est comme si vous êtiez au chaud dans une maison quand il fait moins trente dehors et que quelqu’un ouvre la porte en vous disant: tu peux sortir maintenant”.
Ce que Vladimir a perdu c’est l’espoir. Propagande ou pas, avant il avait l’impression de vivre dans un pays avec des opportunités, qui allait de l’avant et où les gens avaient confiance en l’avenir, un pays libre. Aujourd’hui les nouvelles sont toujours mauvaises, le futur est incertain et les anciens cherchent leur place. “Quand pour travailler on vous propose trois options vous en choisissez une, quand il y en a trois mille vous êtes perdu” résume Mila à propos de ces travailleurs nostalgiques de l’Union Sovietique qui ne sont pas si rares que ça dans la Russie d’aujourd’hui.