Ruta, fromagère enracinée
Il y a des pays où l’étranger entend parler gastronomie ou architecture. En Lettonie, on lui cause démographie, parce que le pays se dépeuple. Après le XXème siècle et son voisinage plutôt envahissant, marqué par l’exil et les déportations, c’est maintenant l’adhésion à l’union européenne qui explique la fuite migratoire qui a encore fait perdre cette année à la Lettonie 9000 de ses citoyens partis voir si on vivait mieux à l’Ouest.
“Tout le monde en Lettonie connait au moins 5 personnes comme ça” commente Ruta dont les racines l’ont emporté sur les envies d’exode. Après une tentative urbaine elle a trouvé une solution viable pour continuer à passer ses journées dans une maison en bois au bout d’une piste: le fromage.
“Quand j’étais enfant je rêvais d’avoir une ferme, et puis j’ai toujours bien aimé le camembert et les fromages qui sentent mauvais. Si d’autres arrivaient à en faire je me suis dit que je pouvais m’en sortir aussi”. La voilà partie pour une formation en Allemagne et bientôt acquéreuse d’une soixantaine de pensionnaires pour la bergerie. A Riga le fromage se vend bien, et Ruta ils ont engagé deux personnes à la ferme.
Un paquet de curieux de mon espèce viennent interviewer success Ruta qui n’aime pas ça: “pourquoi des inconnus doivent-ils savoir ce que je fais? Je n’aime pas toute cette publicité, je veux juste vivre ma vie tranquille”. C’est qu’elle n’a pas fait ça pour la gloire, et d’ailleurs pas forcément par passion non plus. J’ai bien cherché un peu de romantisme dans ce destin laiteux mais il s’avère que c’est un moyen comme un autre de vivre différement, ou plutôt pareil et de demeurer fidèle à sa campagne. Pour Steffen, son homme, même métier mais cheminement différent. De provenance est-germano-citadine, le choix de rejoindre madame pour brosser des meules de tome relève bien plus d’une decision politique contextualisée, c’est quelque part un engagement pour la production locale.
Le travail jouerait donc dans la vie de Ruta le même rôle que dans celle de l’employé de bureau blasé à qui je cherche des alternatives: un alimentaire pour se payer le reste. A la seule différence que pour elle ça rime avec potager plus qu’avec matérialisme. Et ce côté “alternatif sans faire exprès” m’aurait sans doute séduit.
Enfin travail alimentaire peut être mais pas sacrifice non plus. A la différence de la ville, la campagne ne connait pas une séparation stricte entre travail et vie privée: les deux se partagent souvent le temps et l’espace. Le vendredi soir fait moins d’effet au fermier indépendant qui travaille où il dort et se promène où il cultive. Son travail c’est presque sa vie et Ruta ne regrette pas la décision prise cinq ans plus tôt. Produire du fromage c’est aussi avoir de l’espace, respirer le grand air, cotoyer les bêtes, se baigner dans des lacs, cueillir des mirtylles dans les sous bois, ramasser des branches pour faire danser la vapeur d’un sauna et renouer avec la sagesse des anciens là où elle est encore palpable.