Finnwalk, baltic tour
Le voyage plante des gens sur votre route, par un autre concours de circonstances, on passe plus de temps avec certains. J’ai rencontré Hetso dans une petite auberge de jeunesse à Klaipéda. Il venait de chez lui, Helsinki, à pied, avec un chariot de postier. Ses basquettes commençaient à faire la gueule. On a échangé nos histoires comme de coutume, il a été videur de boite de nuit à Ibiza, a monté une compagnie d’ambulances et arrêté de bosser depuis qu’il s’est cassé le dos en essayant de rattrapper une gamine qui avait sauté du 5ème. Il apprend à dire merci et café au lait dans les pays où il va mais les langues c’est pas son fort. En même temps il me dit qu’en parlant mal, il a l’air un peu simple, ça met ses interlocuteurs en confiance et ça les rend bienveillants, c’est un avantage en fait: “il m’arrive quelque chose de positif tous les jours”. Ca fait 25 jours et 800 kilomètres qu’il marche et il touche au point où il va se retourner pour refaire ses 20 maratons dans l’autre sens. C’est un grand gars, une douce rudesse dans un regard profond. Il me rappelle furieusement le type dans Paris, Texas. Il n’a pas aimé le film. Le lendemain on se souhaite bonne chance et je vais prendre mon bateau pour l’Isthme de Courlande.
La deuxième partie de l’histoire reprend sur le camping de Nida, à un jet de pierre du territoire russe de Kaliningrad. Alors que je me demande où je vais bien pouvoir planter ma tente dans ce camping bondé quelqu’un m’appelle, c’est mon ami au chariot. Sur le côté sa fille lui a fait un panneau qui dit: Finnwalk, baltic tour, follow me on facebook avec ce pouce bleu qui a remplacé la pate blanche de la chèvre de monsieur Seguin. “On a mis ça, sinon les gens me prennent pour un sans abri”, il devient instantanément un événement social sympatique.
On finit par quitter le camping de Nida, puisque j’ai du temps je décide de l’accompagner et on charge mon sac sur le dessus du chariot. On marche le long de la seule route qui se déroule vers le Nord de l’Isthme, les voitures nous doublent à toute berzingue.
– Tu t’ennuies parfois?
– Quand le temps est mauvais, sinon jamais.
– Comment tu t’occupes?
– Je réfléchis, j’observe, je remarque des choses que personne ne voit. Par exemple cet arbre a été coupé, je me demande pourquoi, j’écoute les oiseaux.
Il savoure l’espace que les conducteurs engloutissent. Il voyage dans le détail, dans le monde de l’infiniement précis dont sa lenteur lui ouvre les portes.
– T’aimerais marcher avec quelqu’un?
– Pour quelques jours c’est un plaisir, pour plus longtemps je ne sais pas. De toute façon je n’ai trouvé aucun intéressé. Je connais mes limites à faire des compromis, ma priorité c’est la route, libre aux autres de m’accompagner.
Au fond, le rêve du solitaire: être tout seul en présence de quelqu’un de docile et heureux. Voilà expliqué le succès des chiens. Ça arrive aussi aux hommes entre eux, comme ce soir après la marche, campant au milieu des pins, l’éphémère équipe des ermites. Marche forest, et bonne route.