Lonelytuanie, leçon de solitude
Le camping semble de l’autre côté du lac de Trakai, à pied ça va chercher dans les 7 kilomètres et mon sac est trop lourd, comme tous les sacs. Tirant profit du caractère hautement touristique de l’endroit et de son château sur l’eau je décide de couper par les flots et saute dans une barque. Il fait un temps radieux, mon enceinte portable me chante toujours la même playlist téléchargée deux jours avant le grand départ mais dans mon rafiot c’est un hymne à la joie. Le camping que j’imaginais est en fait aussi l’hôtel étoilé du coin et je viens de m’échouer sur la plage privée où la haute de Vilnius vient le week-end faire bronzer bedonne et silicone. C’est pourtant là que le soir venu je sors ma popote et parviens, sur le feu de bois allumé, à me cuisiner des pâtes dont la comestibilité dépasse de loin mes ambitions initiales. Je regarde mon feu, pas peu fier d’être devenu un homme des bois. Je me dis que si il y avait une amoureuse juste à côté les braises ne s’éteindraient pas de si tôt. Mais je suis le seul témoin permanent de mon épopée, c’est le jeu.
La solitude je n’avais jamais encore essayé, je veux dire sérieusement, pendant longtemps. Certes, ma vie n’est pas complètement dénuée de socialisation, j’échange des bonjour et des merci, des where are you from et des safe journey mais les interactions du nomade restent souvent assez basiques parce qu’une des premières questions qu’on lui pose c’est combien de temps il restera. Et à quoi bon consacrer du temps à un inconnu qui s’en va bientôt ? La solitude est linguistique aussi, et laisse peu de place à la subtilité parce qu’on tricote déjà pour les idées simples.
Voyageur solitaire, voilà tes atouts: liberté grisante, tu décides seul parce que tu ne dépends que de toi, perméabilité inégalable aux évènements et aux hommes sur ton chemin. La solitude est une invitation à lever le nez, à se recentrer, à divaguer, penser et même réfléchir. Je comprends assez bien les solitaires et j’imagine que certains n’en reviennent jamais.
Seulement je pense qu’il faut pas trop forcer sur la solitude, voisine de l’égoïsme, copine avec l’intransigeance, elle peut devenir addictive. A force de solitude on en oublierait le langage, on s’envelopperait dans le silence et on ne partagerait plus rien. Sylvain Tesson a raison à propos de la solitude: “l’ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse: le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus”. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire seul, c’est un fait. Rigoler seul est moins drôle, aimer seul est impossible. L’hypersensibilité du voyageur est socialement stérile, c’est pour ça qu’il tient un blog, pour en parler à quelqu’un.
Je savoure cette féconde solitude du moment, ce luxe qui nourrit aussi mon désir de retrouver les miens. La vie fonctionne comme un sauna, c’est l’alternance de chaud et de froid qui fait du bien.