The polish jungle
Départ matinal, voiture de toutes les couleurs. Au volant, la grande Magda, a préparé des cookies végétaliens à avoir un accident et tout un tas de douceurs pour le palais et la santé. Elle en connait un rayon sur la nutrition. Pourtant son job c’est la conception graphique, illustrations de livres pour enfants et production de clips de hip hop californien. Elle a un paquet de talents et d’expériences et en porte un nouvelle qui devrait respirer d’ici septembre. Surprise donc quand elle m’apprend qu’elle est plus jeune que moi. Âge et maturité sont deux choses différentes. Elle va vite, sans se dépêcher, elle prend les choses comme elles viennent, sans s’encombrer de principes sur le fait qu’il faut profiter de sa vie avant d’avoir des banbins. Ce n’est pas ça qui l’en empêchera. Elle marche à l’intuition, c’est d’ailleurs grâce à ça qu’on se retrouve à traverser la Pologne ensemble. Les cookies sont vraiment bons décidément.
La Pologne c’est entre autres le pays des fraises, le kilo dépasse pas 3 euros.
Etape a Lublin pour récupérer Anya sur le parking de tesco et aller faire des provisions dans un petit marché où Darek nous emmène dans un milkbar, sorte de cantine héritée de l’époque soviétique où on consommait du lait parcequ’on n’avait pas les moyens de se payer de la viande. On va chercher au comptoir 4 assiettes de pirogui, les raviolis polonais, et on se régale.
On est en route vers Wulka, un petit village au milieu des bois près de la frontière bielorusse. C’est aussi là que Magda et Lukacz ont passé l’automne et l’hiver, dans une de ces vieilles maisons polonaise en bois, qui tient plus du refuge, avec un gand poêle central qui diffuse la chaleur dans toutes les pièces tant qu’on se réveille pour y remettre une buche. Petit déjeuner dans la prairie au milieu des herbes hautes.
Le reste de la future équipe est à Hajnówka, dernière ville avant la grande tache verte de Bialowieza et demeure de Tomek, un guide du parc naturel et ami d’ami qui a accepté de nous emmener dans un coin interdit au coeur de la vieille forêt. Il arbore une barbichette qui lui arrive a l’estomac et un faux air de viking. Il a grandi dans les bois et c’est marqué quelque part dans son regard. Contrairement au reste du groupe qui compte beaucoup d’écolos, il ne semble pas spécialement militant, c’est juste que cette forêt c’est chez lui, c’est là qu’il est bien. On progresse avec la tombée du jour dans la forêt, à un rythme qui rend les expirations fumeuses tandis que de la vapeur se dégage des prairies qui apparaissent sur les côtés. J’installe ma tente pour la première fois, encouragé par les hiboux.
Bialowieza est une des plus vieilles forêts d’Europe, connue pour ses bisons. On en verra un passer au loin, comme un mirage au moment de l’orage quand le groupe est à l’abri du tarp. Au delà de ces poids lourds poilus, la forêt dégage quelque chose de spécial. On sent ici que l’homme n’y est pas pour grand chose. Les vieux arbres couverts de rides et de lichen s’abandonnent d’eux mêmes à l’humus moelleux et fertile. Des marécages bordent les allées de verdure et la forêt fait de drôles de bruits. Il y a dans le plafond de chlorophylle quelques puits de lumière qui produisent au sol des clairs obscurs à tomber. Mais c’est pas le moment de se relâcher parce que la forêt héberge aussi les réalisations moins glorieuses de mère nature comme celles, très présentes dans les sous bois, au vol disgracieux et aigu, qui confondent bout de peau dévoilé et invitation à un aperitif d’hémoglobine. Cette fidèle et déplaisante compagnie méprise également les moments de salutaire intimité des marcheurs, végétariens à régime hautement fibreux, et les contraint, malgré eux, à la bien peu mondaine pratique de l’autofessée. Puissent ces precisions triviales prouver que j’ai à coeur de décrire la situation telle qu’elle fut et renforcer du même coup la sincérité de l’éloge que j’ai fait de cette jungle.
Malgré tout, c’est l’homme plus que le moustique qui menace l’equilibre du lieu. Récemment des scientifiques corrompus par des entreprises intéressées par le bois et la terre de Bialowieza se sont mis à affirmer l’existence d’un insecte qui tue les arbres. La solution selon eux: couper toute une partie de la forêt pour endiguer la propagation du monstre arbrovore. Les gens sérieux ne nient pas l’existence de la bestiole mais rappellent qu’elle a toujours été présente dans l’écosystème et que la forêt s’en est toujours tres bien tirée sans ingérence humaine. Puissent les militants qui documentent cette triste déforestation faire annuler le projet de déclassement d’une partie de Bialowieza du patrimoine de l’UNESCO.