Moscow modjo
L’avenue qui passe devant la gare de Saint Petersbourg déploie 4 voies dans chaque sens et de larges trottoirs bordés de massives barres staliniennes, je marche sur un des périphériques moscovites. Ayant élu domicile et largué sac à dos dans un charmant petit hostel je me précipite vers la place rouge pour assouvir une pulsion touristique. L’épicentre russe est visuellement contrasté: des constructions basses et vieillotes cotoient de pimpants immeubles de bureaux et des logements sovietiques. Entre tout ça, on entend souvent rugir les berlines de luxe des nouveaux riches ou des mafieux qui se pavanent à toute allure à la recherche d’admirateurs. J’ai presque peur que cette clinquante beauferie capitaliste ne réveille le camarade Vladimir Ilitch Oulianov endormi devant chez Poutine, drôle de ville vraiment. Non loin, la basilique consacre cette ambiance assez loufoque avec ses coupoles psychédéliques qui révèlent aussi la nature profondément fantasiste des russes.
Mais je n’ai fait que croiser ce Moscou là. Ce dont je me souviendrai c’est de cette succession de rencontres qui commença le troisième soir quand je rencontre Roman dans une épicerie puis qu’en sortant il me présente Mikhail qu’il a rencontré deux heures plus tôt. La conversation métaphysique dont j’ai raté le début reprend à grand renfort de questions comme: est-ce que tout ça est bien réel ou est-ce que c’est un rêve? J’écoute d’une oreille amusée mais mes amis sont très sérieux. Une demi heure plus tard, toujours sur le même bout de trottoirs quelques questions plus loin Anastasia s’arrête pour demander du feu et la voilà admise dans notre joyeux think tank existentiel de boulevard que j’invite boire un thé à l’hostel. Alors que les pères fondateurs décident de poursuivre la conversation dans la nuit de Moscou, on se donne rendez-vous le ledemain pour boire le thé.
Je reviens du Garage Museum dans le Gorki Park, c’est à voir. Il pleut toujours quand je sors du métro Taganskaya et Roman ne tarde pas à arriver. On marche pendant 20 bonnes minutes avant de passer différentes cours et de rentrer dans une ancienne usine de lunettes, au troisième étage de laquelle plusieurs ateliers ont été réinvestis par des cours de danse ou de musique. Celui où nous allons est un salon de thé plus ou moins clandestin ou une dizaine d’informés sont tranquilement réunis. Une tea master prépare une grande variété d’infusions sur une table en bois ou dansent des bougies, joignant les mains pour me passer les tasses, exécutant avec précision des gestes calmes. L’atmosphère est détendante au possible et je peux dire qu’il y a ce que certains éberlués appellent de bonnes ondes. Anastasia nous rejoint, elle aussi est extrêmement posée, un regard curieux et vif qui contraste avec une certaine lenteur de son frêle mètre quatre vingt et sa voix qui n’emet que de souriants murmures. Je ne tarde pas à rencontrer Slava, autre habitué, avec qui la conversation va une nouvelle fois très vite et qui m’emènera le lendemain avec sa soeur de 14 ans dans l’endroit qu’il préfère à Moscou, une source naturelle au Sud. Tous ces gens là sont vraiment épatants. C’est important d’être attentif aux indices que la vie sème sur notre chemin.
Le dernier personnage de mon histoire Moscovite c’est Jeanne, The Russian Marylin Monroe, taquine le jeune gérant de l’auberge où elle affectionne passer ses après midi avec des bigoudis dans les cheuveux à se pouponer. A rester plusieurs jours dans cet endroit de passage qui compte d’autres occupants longue durée, on prend ses habitudes et l’auberge finit par ressembler à une vaste collocation. Ah Moscou.