À Ghalat matata
Mohammad vient me chercher au terminus du bus 50, sous le lampadaire où il fait demi-tour pour repartir vers Chiraz. On s’enfonce dans le vieux village de Ghalat en contrebas du majestueux cirque de montagnes. Je n’ai pas trop compris comment mais ici on trouve toute sorte de stupéfiants sans que ça ne stupéfasse trop les autorités. Mohammad fait tourner, il à l’oeil brillant qui flotte mais il se faufile d’un volant d’as dans les ruelles exigues entre les vieilles maisons de pierre.
Il accueille pleins de couchsurfers qui peuvent si ils le souhaitent aller calmer leurs fringales au rez-de-chaussée chez “tante Nazi”, sa maman. Elle était infirmière dans un hôpital psychiatrique, mère au foyer et puis elle a du reprendre une activité après le décès de son mari en photo dans l’alcove entre les chichas. Le restau tient plus de l’antre: lumière tamisée, murs sombres et dubstep à pleine baffles. Tout le monde est gentiment défoncé. C’est pas vraiment là qu’on attendait mamie gâteau, sa petite voix aigue de gentilesse et ses bons petits plats plein d’amour. Elle est vraiment trop mignonne. Mais la véritable tolérance n’a rien contre le mélange des styles.
On part se balader dans la montagne avec Mohammad. Il avance les mains dans les poches de son jean qui tombe, montées caillouteuses et semelles plates, il me montre la source, un endroit qu’il aime bien. Il s’arrête pour contempler la nature, silencieux et apaisé. Pourtant on n’entend pas le bruit de l’eau, il a emmené une enceinte portable qui diffuse un beat de hypster en fin de trip au petit matin à Liepzig: c’est une initiation au discotrek. Mohammad est inclassable, toujours entre deux cases et au final je crois qu’il a trouvé son équilibre dans ce mélange de drogue, de randonnée, d’électro, de famille et d’étrangers.
Tous les jours un type d’une cinquantaine de balais fait des aller-retours dans le restau une lanterne à la main comme si il venait de pénétrer dans la caverne d’Ali Baba. Tante Nazi lui sert du thé mais il s’intéresse surtout aux morceaux de sucre qu’il gobe comme des gateaux apéritif. C’est le fou du village, il est intégré comme tel.
Troisième jour, il neige. Ghalat est en fête comme le village de Kirikou: l’eau est revenue, et tout le monde sort dans les rues comme si il pleuvait des billets, on part faire un tour avec Mohammad qui sourit au ciel et prend quelques selfies. D’un coup il lâche d’un ton invariablement deux de tension: “i think it’s the best day of my life”, je sens qu’il est tout excité à l’interieur et je suis content d’être là.
C’est difficile de partir de Ghalat parcequ’on y est bien. Quand le matin du cinquième jour je me décide à reprendre la route on se donne une tendre accolade avec Mohammad et tante Nazi qui va chercher le Coran pour lui faire faire le tour de ma tête, ça porte chance.