La tempête de Bir Gandouz
Ne refusez jamais de prêter un stylo à quelqu’un qui vous le demande gentiment. Moi ça m’a valu un aller gratuit pour Bir Gandouz. Mon futur pote avait l’air très agité, limite envahissant au début, je l’ai pris pour un fou. Puis il a tenu parole et s’est pointé à la sortie de la frontière avec une vielle buick américaine large comme un bus, m’invitant à monter parce qu’il était pressé, j’ai hésité, je suis monté, bien m’en a pris. Après avoir trouvé nos limites en français comme en hassanya on a commencé à discuter en espagnol. C’est là que j’ai saisi que mon ami gagnait son pain grâce aux échanges transfrontaliers, notamment les clopes, qu’il avait toujours au bec. Il me raconte qu’il était prisonnier politique pendant un temps, et il me parle du Sahara, du Maroc. Il me dit des conneries aussi, mine de rien, et on rigole. Il raconte qu’il est un robin des dunes qui aide tous ceux qui comme moi traversent la frontière, il connait tout le monde ici, et tout le monde le connait.
Il est partout et toujours ailleurs, toujours dans la buick qui lui sert de bureau, d’entrepôt et de fumoir naturellement. C’est un hyperactif, il ne mange pas, ne dort pas, ses yeux non plus ne tiennent pas en place, il s’amuse de sa folie, en joue. On arrive devant chez sa femme, il klaxonne, elle sort, lentement avec le même flegme que les femmes de Mauritanie. Ces deux la se connaissent par coeur, elle lui lance des regards chargés d’un mélange de complicité et d’un doux scepticisme d’avoir marié un homme pareil. Son fils se pointe, il veut aller au hamam, il demande trop de trucs, il est mal éduqué, il l’engueule, il accepte, redémarre, passe chez un voisin, klaxonne, pas là, il repassera. 5 mètres plus loin la boutique, la voiture tourne toujours, il prends les nouvelles, voit ce qu’il peut refourguer, jure sur tout ce qui bouge avec beaucoup d’amour, me dit que ce sont tous des salopards, et repart. On arrive chez lui, il a cassé des parties de l’ancienne maison type identique à toutes celles de la rue. C’est le chantier. Bir Gandouz aussi d’ailleurs, la ville a dix ans tout au plus, les maisons sont toutes pareilles et la ville a une morphologie rigide et artificielle. Je pense que son existence tient à une volonté du gouvernement de développer la pêche et de montrer que le Sahara, c’est le Maroc. Il y a beaucoup de Bir Gandouz sur la côte du Sahara.
A peine installé, mon hôte a des histoires à régler, j’en profite pour aller au Hamam avec son fils, un ptit gars formidable qui me montre ses habitudes et me dit qu’il me trouve sympathique. Entre deux gommages décapants il tente de me faire répéter la formule magique de la conversion, sait on jamais. A la sortie, il se prend un savon paternel parce qu’il avait oublié le shampooing, “yaharak biac” qu’il lui lance, “ton père brûlera en enfer”, mais il est habitué et ça ne l’empêche pas de prendre le volant de la buick avec autant d’étoiles dans les yeux que dans le ciel de Bir Gandouz. Après avoir déposé la terreur on passe chez son prof de physique chimie prendre le thé et diner. Mon ami c’est presque toujours celui qui parle, ce soir, il fait un canular a un ami du prof en se faisant passer pour une femme, je sais pas ce qu’il raconte mais les autres se fendent bien la gueule.