Yazd!






Yazd, Yazd, Yazd, cité de terre et d’histoire où de beaux vieux maquillés de rides déambulent dans des ruelles encore plus vieilles à l’abri d’un soleil ardent. Dans la vraie vie, mon couchsurfing se situe dans une résidence de huit étages plantée sur un champ fraichement bétoné avec parking souterrain et ascenseur au parfum de chantier. L’électroménager n’a pas encore fêté son anniversaire, il y a des rideaux à pompons, des tableaux brodés et des chiottes japonaises avec différents programmes d’arrosage. Taher est photographe professionnel, genre photos de famille en studio et mariages, marié, deux gamins. Il me réchauffe un bon casse-croûte et me fait goûter le vin de son cru, plus que buvable. Tout ça sans pourtant beaucoup d’enthousiasme, j’en déduis que l’hospitalité est dans l’ADN des iraniens, des plus souriants aux moins extravertis.





Une fois qu’on reçoit quelqu’un, on en a la responsabilité et vu que Taher peut pas m’heberger une nuit de plus c’est son pote Jamal qui récupère la garde du touriste. Il a l’air un peu excédé mais il fait le job, consacre sa nuit a me promener, me paye des cafés et des trucs à manger et même une nuit d’hôtel alors qu’a chaque fois j’insiste pour payer jusqu’à sentir que je vais vraiment le vexer. Ce mec me connait depuis deux heures et il fait tout pour moi, faut le vivre pour y croire. Au détour d’une allée sombre des percussions et des chants s’échappent d’un batiment vouté, je demande si c’est un concert mais mon pote comprend pas. On pousse la porte du zoorkhoneh, littéralement “maison de la force”, salle de sport traditionnelle où des hommes plus où moins jeunes font des exercices au rythme du tambour et de la clochette.



J’ai rendez vous avec Jamal qui m’a dégoté un nouvel ami pour aller là où je voulais. Mais quand je sors dans la rue, il y a des cortèges qui défilent, c’est l’anniversaire de la révolution islamique de 79. Le gouvernement a distribué ses pancartes de propagande pour unir son peuple dans la haine des ennemis extérieurs car cette triste recette, elle, ne connait aucune frontière. Pourtant tous ceux que j’interroge sur leur détestation des pays dont les drapeaux sont peints sur le sol pour être piétinés me repondent toujours: “non, ça c’est le gouvernement”. Même quand je leur parle de ce connard de Trump, j’ai l’impression d’être le plus indigné, ils s’en tappent en général. La haine est une invention des hommes qui jouent avec les peuples. Je regarde tout ça et je repense à ces images de fête diabolisant le moyen orient au lendemain des attentats de New York, j’avais tout juste onze ans et biensur que j’étais tombé dans le panneau.





Je finis par retrouver les copains, on part en balade à Karanaq et Chekchek.





A la fin de la belle journée Jamal veut pas me laisser partir camper pour des raisons de sécurité ou je sais pas quoi mais je reussis finalement à prendre congé vers les montagnes. Je veux monter ma tente, me gaver de silence, faire du feu pour mon café, marcher dans la plaine infinie, marcher toujours plus loin, une trentaine de kilomètres jusqu’à ce que la nuit tombe, jusqu’au bout de mes forces, jusqu’à entendre le cri des chiens ou peut-être des loups. Retourner à la tente, me jetter sur mes provisions, tendre une oreille inquiète près de mon couteau et finalement me calmer, m’endormir , parcequ’il n’y a pas d’autre choix que de faire confiance à la nature.




Un autre jour se lève, moi aussi. Je me mets en route pour la route et arrête un camion qui file sur Ardakan.


C’est la journée des routiers, cette fois ci c’est deux copains qui se traînent vers Téhéran. On s’arrête pour un pique-nique sur le bord de la route. Alors que je vais chercher du bois mort pour le feu, Hassan a déjà arraché la moitié d’un arbre qui crame noir d’essence, au menu: kebab. Il s’est vaguement rincé les mains dans une canalisation qui passe sous la route et étale du poulet sur les grilles tandis que je sens s’affirmer mes convictions végétariennes. On repart à 60 à l’heure quand il a fumé tout son opium.
